Musique

The Doors: Genèse d’un mythe, 1967.


La France de Baudelaire, Céline, Rimbaud, la ville où Hemingway avait pu se libérer des folies des Etats-Unis. La ville où il sera retrouvé mort, officiellement d’un arrêt cardiaque, le 3 juillet 1971, à l’âge de vingt-sept ans. Ray Manzarek, clavier des Doors, déclara un jour que si Jim Morrison n’avait jamais lu « On The Road » (« Sur La Route ») de Jack Kerouac le groupe n’aurait jamais vu le jour. Morrison, tel le personnage du roman de l’auteur majeur de la beat-generation, quitta un jour de 1964 l’Université de Floride de Tallahasee pour rejoindre la côte ouest des Etats-Unis et Los Angeles. Dés ce jour, sa vie bascula; il fit table rase du passé, déclarant même quelques années plus tard dans une interview que ses parents étaient morts. En fait, son père Steve, officier de carrière dans la Marine, et sa mère Clara lui survécurent.


Jim Morrison fredonna un jour « Moonlight Drive », sur la plage de Venice, à Ray Manzarek, un des rares amis de Morrison à l’UCLA. Les Doors commencèrent leur carrière ce jour-là, même s’il fallut des mois pour que le groupe existât concrètement. John Densmore, ami de Manzarek, sera le batteur qui manquait, Robbie Krieger, que connaissait Densmore, intégrera les Doors peu après. Un temps, les deux frères de Manzarek firent partie du groupe. Sans bassiste, fondement essentiel d’un groupe de rock, Ray Manzarek se résolut à jouer les lignes de basse sur son orgue de la main gauche. Ceci, ajouté à la formation classique et flamenquiste de Krieger, au charisme théatral et aux textes de Morrison, au jeu de batterie fait de nuances de John Densmore, à la culture de jazz, et en particulier de free-jazz coltranien, de ses membres donna aux Doors une identité étrange et déroutante qui en fit d’emblée un groupe hors des conventions.

Dès janvier 1966, les Doors jouaient quasiment tous les soirs dans une boîte miteuse de Los Angeles, le « London Frog ». Puis ce fut le plus honorable « Whiskey-A-Go-Go » où Jim Morrison pouvait se livrer, surpassant sa timidité, à des démonstrations scéniques proches de la transe qui devaient faire la réputation du groupe. Les textes des morceaux, outre ceux de Krieger, étaient issus de notes accumulées sur un toît, à Venice, où Jim aimait à rester des heures durant, seul avec un carnet.

A la fin de l’année 1966, Ronnie Haran, du label Elektra, signa le groupe. « The Doors », l’album, pouvait enfin être enregistré et immortaliser les chansons du groupe. L’ambiance de l’album, qui sort en janvier 1967, se voulait le plus proche possible de celle des concerts; les thèmes abordés constituaient à eux seuls une innovation dans le monde de la musique rock. La littérature était introduite, à l’instar de Bob Dylan, dans des textes de rock. En ce sens, les Doors ont contribué à intellectaliser cette musique qui pâtissait jusqu’alors de l’insipidité des paroles des chansons mièvres à la mode. Ainsi, le groupe aborde des sujets tels que la mythologie celte (« The Crystal Ship »), l’inconnu et l’inconscient – et donc en un sens la drogue – (« Break On Through »); les allusions littéraires foisonnent (« End Of The Night », en référence à « Voyage Au Bout De La Nuit », le chef-d’oeuvre de Céline). Et il y a surtout « The End », et son approche psychanalitique, où se mèlent le mythe oedipien et le subconscient, dans une atmosphère baignant dans des volutes de LSD.


En définitive, les Doors s’inscrivent, par le biais de ce premier album, dans le courant psychédélique naissant. Un nouveau son est né. Une nouvelle ère s’ouvre. Le 1er juin 1967, à des milliers de kilomètres de la Californie, les Beatles sortent « Sgt. Peppers Lonely Heart’s Club Band » qui restera comme étant l’album majeur de ce courant musical. « The Doors », album primordial dans la carrière du groupe, aura su se détacher des influences qui auraient pu altérer les innovations sonores des Doors. A une époque où l’on se complaisait à plagier le son de la guitare wah-wah de Jimi Hendrix (« Are You Experienced ? », le premier album de l’Experience sort également en 1967), le groupe a su imposer une nouvelle perspective de la musique, reprennant « Back Door Man » de Willie Dixon comme il n’avait jamais été joué, ou intégrant « Alabama Song », tiré d’un opéra de Kurt Weil. Un grand groupe était né.

Laisser un commentaire